Tempérance
Atout XIIII
Angélisme et brutalité de l’idéalisme
Gnosticisme, vouloir faire l’ange et faire la bête
Idéal tempéré par le réalisme
Partage, échanges, amitié, respect mutuel
Fraternité universelle
S’il y a un Atout mal compris, c’est bien Tempérance dont on ignore la situation au sein du Système en 4 x 5 du Tarot, et dès lors qu’il est au croisement d’une Verticale mâle et d’un Niveau dédié aux épreuves et aux grandes vertus spirituelles qui en sont issues.
Comme le manifeste déjà appartenance à la Verticale des IIII, Tempérance qui n’est pas « La Tempérance » représente un ange de nature masculine, faisant de lui un élément d’une mâlitude archétypale qui réunit L’Empereur, L’Hermite, et Le Soleil.
La lecture d’une iconographie pourtant très claire s’obsède habituellement du seul fait qu’il s’agit d’un ange qui mélange deux types de fluides, pour en tirer toutes sortes d’interprétations qui ne sont que partiellement justes car elles ne tiennent compte ni du fait que cet ange ailé ne rayonne pas, alors que c’est le cas de tous les autres anges du Tarot, ni qu’il ne vole pas alors que, de même, le vol ailé caractérise la situation ou l’action des trois autres anges du Tarot et qu’on trouve en Atouts VI (L’Amoureux), XX (Le Jugement) et XXI (Le Monde). L’absence de rayonnement et de vol montre bien qu’il ne s’agit pas du tout, dans cet Atout, d’une inspiration divine, mais d’une attitude humaine qu’il faut donc décrypter, en n’oubliant pas l’appartenance à ce troisième Niveau du Tarot et qui est en relation harmonique avec les Épées, Cartes des épreuves avant d’être celles des grandes vertus spirituelles.
Loin d’être cet Atout si tranquille et serein que certains tarologues et taromanciens ont vu en lui l’expression principale de « vacances », ou cet Atout uniquement positif de l’équilibre et de la mesure, il incarne d’abord une des plus grandes épreuves que doit vivre l’humanité avant de s’éveiller à la rosée du Ciel, une épreuve plus difficile que celles de la violence (Atout XI), de l’impuissance (Atout XII) et du deuil (Atout XIII), mais moins difficile que celle qui est liée au Diable : l’aliénation en toute conscience. Tempérance, parallèlement, promet une vertu supérieure au courage (Atout XI), au renversement des perspectives (Atout XII) et au détachement (Atout XIII), bien que moins essentielle que la lucidité que promet Le Diable.
Le nom de « Tempérance » ne fait que désigner du doigt la vertu qu’il faut cultiver quand cet Atout est en question. Mais ce mot de Tempérance a au moins une autre signification : il devrait, aussi, être entendu dans la langue des oisons en usage chez les alchimistes du XVe siècle qui a vu naître le Tarot : Tempérance est le temps de l’errance, c’est-à-dire un temps long de l’erreur, et une erreur de laquelle l’humanité a bien du mal à se sortir, parce qu’elle ne ressemble pas à une erreur mais, au contraire, endosse l’habit de la spiritualité, l’habit de l’ange.
Quelle épreuve et quelle errance peut ainsi rectifier, cette vertu de tempérance, qu’est aussi l’Atout XIIII ?
C’est l’iconographie qui nous l’apprend : il s’agit pour celui qui veut faire l’ange de garder les pieds sur terre et de mettre de l’eau dans son vin. Il y a un proverbe français qui est admirablement illustré par Tempérance : « qui veut faire l’ange fait la bête ». C’est l’angélisme ou son extension : l’idéalisme, que représente d’abord Tempérance, deux tendances dangereuses pour l’être humain en chemin spirituel car elles conduisent à des excès et même un extrémisme. Cet angélisme et cet idéalisme sont particulièrement en jeu dans les idéologies religieuses, mais on les voit à l’œuvre dans les activités politiques et humanistes. Ainsi, si l’islamisme fondamentalisme qui ravage notre monde est né d’un idéal religieux, l’idéalisme communiste et athée fondé sur une volonté de justice et un idéal de d’égalité a abouti, préalablement et au cours du XXe siècle, à l’un des pires totalitarismes historiques.
Il est éclairant de considérer la Carte complémentaire de Tempérance, le Chariot, pour comprendre l’Atout XIIII : l’idéalisme peut être aussi violent qu’une conquête, qu’une forme de colonisation. Et c’est souvent en son nom que ces dernières sont entreprises. Ainsi, répandre une religion ou un idéal humaniste ont donné bien des excuses aux colonialistes des temps passés.
A l’heure actuelle, nous vivons l’épreuve conjointe, à la fois, de Tempérance et du Diable, et dans leurs milieux naturels respectifs si on peut dire : le milieu religieux fondamentaliste pour Tempérance et le libéralisme économique pour Le Diable. Le terrorisme islamiste fait, en effet, pendant aux excès issus d’une mondialisation libérale qui instrumentalise l’humanité à la recherche du seul profit d’une élite commerçante soumise à un but purement égoïste, celui de la richesse. Mais l’espoir m’anime, car Tempérance et Le Diable sont les deux derniers Atouts avant l’ouverture aux Atouts cosmiques. Nous sommes au plus important tournant de toute l’histoire de l’humanité : où bien elle se détruit, ou bien elle se métamorphose avec l’Atout suivant : La Maison Dieu.
Pour en rester à la partie qui concerne Tempérance, rappelons que le terrorisme islamiste est né dans le sol angélique d’une des religions les plus généreuses qui soient, où l’orphelin et le pauvre sont en particulier traités avec une grande bonté. Les terroristes islamistes, comme tout terroristes, sont des idéalistes qui veulent « sauver le monde » de ses péchés et de ses turpitudes par des actions considérées comme des moyens certes mauvais, mais nécessaires. Or, aucun idéal ne peut, en réalité, justifier l’injustifiable.
Krishnamurti est à mes yeux le philosophe et la personnalité spirituelle la plus consciente des méfaits de l’idéalisme, aussi il ne faut pas s’étonner si l’essentiel de son enseignement incarne, mieux qu’aucune autre philosophie, la sagesse du Diable : seul, affirme-t-il, celui qui a pris conscience de l’aliénation que représentent les religions, les croyances, les idéologies de toutes sortes, y compris de l’humanisme, a les yeux ouverts sur la réalité de la condition humaine. Pour Krishnamurti, il faudra bien qu’un beau jour, l’humanité commence à Voir le réel tel qu’il est et acquiert cette lucidité promise par l’Atout XV. Autrement dit, il faudra que l’humanité dépasse le stade représenté par Tempérance et cela implique l’acceptation des valeurs positives du Diable tarologique.
L’idéal, affirmait Krishnamurti constamment lors de ses nombreuses causeries, c’est « quelque chose qui n’est pas ». Ce n’est pas le réel. C’est une négation du réel, un refus du réel qui comportent de grands dangers. A vouloir faire plier le réel sous son idéal, on le maltraite et parfois à l’extrême. Les camps de concentration, les génocides, les tortures, les viols, les meurtres sont nés et continuent de naître d’un idéal qui, pour se réaliser, emploie des méthodes pires que les souffrances qui l’ont fait naître. C’est pourquoi, pour Krishnamurti, « l’idéal est une brutalité ». Aucun idéal ne trouvait grâce aux yeux de Krishnamurti, pas même celui de la non-violence, alors en vogue en Inde. Car ce n’est pas en cultivant un idéal de la non-violence qu’on peut se débarrasser de la violence dans le monde, mais selon Krishnamurti en embrassant la violence, elle-même, dans une vision lucide et compatissante.
A cause de l’idéalisme, de l’angélisme qui sont des façades de bonté et d’amour altruiste, je me sépare d’autrui, affirmait encore ce sage et mystique que fut Krishnamurti, je m’oppose à lui, à ses besoins, à sa vision. Drapés dans leurs rôles de prédicateurs, les idéalistes sont “les diviseurs inconscients du monde”. Or la division, la séparation, la violence qui en découlent sont exactement ce le sens que porte le mot « diabolique », ce qui nous envoie directement à l’Atout suivant.
L’une des formes les plus concentrées du danger que représente l’idéalisme se trouve dans le gnosticisme qui a infesté toutes les religions, mais aussi bien les philosophies existantes, même si les gnostiques proprement nommés représentent aussi une secte chrétienne des IIe et IIIe siècles de notre ère et donc un espace culturel restreint.
L’âme gnostique dans ses caractéristiques éternelles est constituée d’un dégoût profond pour la matière, pour le monde réel, pour la nature qui se traduit par une haine des femmes, de la sexualité, de la chair sous toutes ses formes et d’une aspiration à un autre monde, transcendant, pur, dénué de toute souffrance, de toute violence, de tout péché. Ce rêve d’un monde parfait transcendant qu’on trouve dans la poésie de Baudelaire par exemple conduit à renforcer la haine du monde qui l’a fait naître. C’est cet idéal d’un paradis parfait qui motive les djihadistes. Se détourner émotionnellement de la seule réalité existante, parce qu’on la juge mauvaise et la mépriser au nom d’un monde parfait, probablement purement imaginaire, irréel mais qu’un prophète ou gourou quelconque a proposé à l’imagination de ses troupes pour motiver leur ardeur combattive, c’est faire preuve de folie, d’immaturité, de bêtise sans fond. Car le bonheur réel n’est possible que sur terre, ici et maintenant, et pour l’atteindre il faut commencer par aimer ce qui est.
Ce mépris gnostique, ascétique, angélique du réel, de la nature, de la sexualité qu’on trouve dans la religion chrétienne, dans la philosophie platonicienne, dans la religion musulmane, dans le bouddhisme, etc. est inférieur, en terme d’évolution spirituelle, à l’amour passionnel et aliénant de ces mêmes réalités que représente Le Diable et c’est pourquoi l’Atout XV incarne un stade plus évolué que l’Atout XIIII. Et c’est pourquoi l’ange de Tempérance précède Le Diable de l’Atout XV.
L’iconographie de l’Atout XIIII invite donc à mettre de l’eau dans son vin, et si je dois traduire ce proverbe à partir de son iconographie, du réalisme dans son idéalisme, c’est-à-dire à garder les pieds sur terre. Alors les plus belles qualités de Tempérance se manifeste : celui est mû par un idéal tout en restant conscient des difficultés de ce monde et des nécessaires accommodements à la réalité qu’il doit accepter… devient modéré, sage, tempéré, tolérant, respectueux d’autrui. Il est foncièrement l’ami de tous les autres, et sa posture est celle d’un frère en humanité partagée.
Dès lors, le lien à la complémentaire, Le Chariot, se comprend dans un tout autre sens que celui que nous avons évoqué : le partage dans le respect mutuel est le moyen propre à une humanité réalisée pour découvrir de nouveaux domaines d’exploration. Don et contre-dons enrichissent alors tout le monde sans que personne n’ai rien à perdre.
Il est donc juste de faire de cet Atout, l’image de l’amitié, de la fraternité. Et de fait, il appelle l’Atout qui lui est supérieur dans la Verticale des IIII : Le Soleil où cette fraternité va jusqu’à la gemellité. Avec Tempérance, il y a partage, échange de dons et contre-dons mutuels, de services et d’écoute, et de confidences qui placent les deux personnes, aussi différentes soient-elles par leur genre, leur statut et leur place dans la société, dans la plus parfaite égalité.
Les flux qui se mélangent dans Tempérance sont ceux de la Terre et du réel (rouge et gauche) et du Ciel (bleu et droite), mais aussi du masculin (bleu) et du féminin (rouge), rappelant que l’Atout XIIII fait partie de la Verticale des IIII où il est question de mâlitude : tout de même qu’aucun être humain en chemin spirituel ne peut accéder au Ciel de son être sans accepter son ombre, aucun homme aussi masculin masculin soit-il ne peut vivre sa mâlitude sans avoir accepté sa propre féminité, son anima. Et cette anima est clairement marquée par la fleur qui se trouve au front même de l’ange dans l’iconographie du Tarot de Marseille. C’est l’équivalent, dans cette Verticale du IIII, de La Justice qui, au sein de la Verticale des III représente une incarnation féminine fortement masculine et qui vise le même équilibre qu’on retrouve en Tempérance.
Les deux flux relient deux vasques, l’une en bas, l’autre en haut, mais en montant d’un côté et en descendant de l’autre côté. Ils désignent donc la parfaite égalité des eaux des deux flux. Avec Tempérance, les valeurs de la Terre sont en parfaite égalité avec les valeurs du Ciel. Elles ne sont pas oubliées au nom d’un idéalisme écrasant. Elles sont respectées, et même transfigurées en valeurs célestes, tout comme ces dernières descendent dans la terre en s’incarnant dans le réel.
Les concepteurs du Tarot ont tous été conscients de cette Verticale des IIII qui lie L’Empereur, L’Hermite et le Soleil à Tempérance sous l’égide du nombre quatre. Aussi ont-ils tous, d’une façon ou d’une autre, inscrit Le Soleil dans l’iconographie de Tempérance, l’Atout le plus près de lui au sein de cette Verticale. Dans le Tarot Conver, l’ange de Tempérance porte le Soleil sur la poitrine, moins un quart, et quatre quarts en décoration en dessous, signalant clairement à la fois cette Verticale qui est celle de la mâlitude et qu’avec Tempérance on s’approche du Soleil, même s’il en manque encore un morceau. Dans le Tarot Rider, le Soleil porté au front par l’ange se lève aussi derrière les montagnes.
Que signifie encore cette présence de Tempérance au sein de cette Verticale des IIII au sein des Atouts du Tarot ? Que sans l’amitié, le pouvoir paternel de L’Empereur est tyrannique. Que sans l’échange d’informations entre le maître et les disciples, l’enseignement de L’Hermite ne peut réaliser sa destinée socratique où le maître apprend autant des disciples que ceux-ci du maître. Que sans la parfaite égalité d’amour du Père pour les fils, le Soleil ne peut brûler l’envie qui ravage la relation des frères et des amis.
Quand on rencontre Tempérance dans un tirage, cet Atout indique toujours qu’il faut mettre de l’eau dans son vin, et revenir à une conception plus réaliste des choses. I Il invite à ne pas se laisser emporter par l’intransigeance de ses idéaux et à rester attentif aux vrais besoins d’autrui. Parfois, encore, il conduit ceux qui, dans la gent masculine pourraient affirmer trop vigoureusement leur mâlitude, avec un côté macho inadéquat, à découvrir leur propre féminité, afin que leur véritable masculinité soit équilibrée. Alors, ils pourront être amis avec les femmes, parce qu’une part d’eux pourra s’identifier à leur vision féminine du réel. Mais surtout, Tempérance est une invitation à traiter autrui comme son égal en toutes choses, condition pour que l’amitié et de véritables échanges soient possibles, ouvrant l’interprétation à l’amitié où les partages et les échanges sont centraux.
Dans tous les cas, Tempérance apparaît quand il y a un excès dans ses affirmations identitaires et rappelle que la voie spirituelle n’est possible que par la culture d’un équilibre en toute chose, car toute vertu n’est qu’un moyen terme entre deux excès. Il invite tout un chacun à échanger son point de vue avec celui des autres en respectant ces derniers, ce qui ne signifie pas qu’il doit, pour autant, tout accepter. Car l’inacceptable au regard d’une éthique du respect reste l’inacceptable. Respect d’autrui et tolérance sont donc les vertus qui, alors, rayonnent à travers Tempérance qui est bien autre chose que la culture que cette diététique alimentaire que certains voient, presque exclusivement, en cet Atout XIIII.
En lien avec le premier Niveau du Tarot, Tempérance parle de la fratrie et, secondairement, de la sororité, mais aussi de l’ami intime, du confident.
En lien avec le second Niveau du Tarot, Tempérance évoque les métiers en lien avec les liquides (barman, batelier sur rivières et fleuves, etc.), les métiers de la communication, y compris dans le soin (thérapeute par la parole, par les fluides) ainsi qu’aux métiers de la médiation (conciliateur).
En lien avec le troisième Niveau du Tarot, Tempérance désigne les excès de l’idéalisme, de la religiosité, de l’ascétisme, le mépris de la chair, mais aussi une ambivalence mal gérée dans l’identité sexuée. Mais ce Niveau est aussi celui de la conquête de la vertu de tempérance, de la modération, de l’aptitude au dialogue et au respect de la parole d’autrui.
En lien avec le quatrième Niveau du Tarot, Tempérance parle d’équilibre intérieur, de tolérance, de respect d’autrui, de justice, d’égalité fraternelle, d’amitié humaniste et de fraternité universelle, mais aussi d’équilibre parfait entre animus et anima et dès lors, plus particulièrement et en lien avec la Verticale des IIII, d’hommes qui s’affirment dans leur masculinité sans avoir besoin de jouer les machos, d’hommes modernes finalement, ce qui montre qu’on est bien, actuellement, dans la construction d’une humanité proche de la fin du 3e Niveau, proche dès lors de l’explosion de souffrance ou de joie spirituelle que représente, dans un cas ou dans un autre, l’Atout XVI.
Tempérance, enfin, est par excellence et dans ses valeurs les plus élevées, l’Atout de la France dont deux de ses devises essentielles s’incarnent comme principes fondateurs de la nation. Regardez aussi l’équilibre des flux bleus et rouges, et comment le blanc de l’ange unit les deux autres couleurs, le rouge de la Terre et le bleu du Ciel. Tempérance est un Atout qui possède le pouvoir de nous élever jusqu’au Soleil, pourvu qu’on intègre l’importance de la chair ce qui est le travail du Diable, l’Atout suivant.