La bonne aventure ? Pas tant que cela 13 août
J’étais très jeune quand une femme du peuple des voyages a frappé à la porte de notre maison familiale de vacances, pour tenter d’avoir un peu d’argent en échange de ses prédictions.
Mon père, en bon rationaliste, ricanait dans son coin.
Ma mère, sans être aussi sceptique, était croyante et n’aimait pas qu’on tente de lever le voile de l’avenir. « A quoi cela sert-il disait-elle, ou bien ce n’est pas vrai et on aura attendu un avenir qui n’existe pas, et si la prédiction est avérée, de toute façon, elle arrive, alors à quoi bon le savoir à l’avance ? C’est se donner du souci pour rien! » …
Ma mère a donc refusé de se laisser prendre la main. Je crois qu’elle avait surtout peur des prédictions malheureuses et des angoisses qu’on peut alors en avoir à l’avance.
En revanche, j’avais une grande-tante, qui se trouvait en vacances chez nous, et qui était attirée par le mystère et le paranormal. Tatie, comme on l’appelait, accepta donc de se faire lire les lignes de la main, et bien mal lui en prit.
La femme du peuple des voyages n’a rien pu dire sur l’avenir d’une vie trop rangée et toute tracée, mais elle évoqua son passé douloureux, de manière tellement vague cependant, qu’il n’est pas sûr que cette voyante avait un don. Et je me souviens des larmes de Tati et de sa souffrance ravivée.
Pourtant, ma tante savait, d’expérience, à quel point il est rare d’avoir affaire à un vrai voyant, et combien sont courants, au contraire, ceux qui abusent les autres pour, sous couvert de prédictions, en tirer un peu d’argent.
Tati était veuve, elle avait perdu son époux à la Seconde Guerre mondiale. Mais, après le retour de la paix, elle resta longtemps sans nouvelle, son époux ayant été porté disparu.
J’ai entendu plusieurs fois ma tante nous raconter comment elle avait vu, après la guerre, une dizaine de voyantes pour y chercher l’information que ne lui donnait pas la voie officielle. Et toutes ces voyantes l’avaient assurée du retour de l’époux, affirmant qu’il était toujours en vie, relançant en vain l’espoir de ma tante qui attendit dix ans ce retour.
Seul, parmi tous ceux qu’elle avait consultés, un prêtre radiesthésiste lui a dit que son mari était mort et sans doute mort noyé. De fait, mon oncle faisait partie des Français qui avaient tenté de rallier l’Angleterre.
Je me souviens de la colère que j’ai ressentie ce jour où la femme du peuple des voyages est entrée chez nous, une colère adressée à toutes ces voyantes de pacotille…
La voyance a eu pour effet pervers l’impossibilité, pour ma tante, de faire son deuil. Elle n’a jamais refait sa vie. Elle était pourtant jolie et charmante. On lui avait vendu du rêve, exploité sa souffrance, et fait perdurer celle-ci au-delà du temps normal du deuil.
En revanche, il est tout aussi incontestable que ma tante a reçu une aide précieuse du prêtre radiesthésiste, au moment sans doute où elle fut prête à entendre la vérité, et d’autant bienvenue qu’elle était très croyante et qu’elle avait confiance en ces hommes de Dieu qui n’avaient aucun intérêt financier à l’affaire.
La voyance peut être un don du ciel et aider celui qui reçoit quelques informations du futur pour mieux gérer sa vie, mais c’est aussi l’instrument dont se dotent des personnes sans aucun don de prédiction et peu scrupuleuses pour escroquer les naïfs.
J’ai donc fait, enfant, l’expérience de ces deux aspects de la voyance : le merveilleux et le charlatanisme.
J’ai pu voir aussi , mais plus tard, que la voyance peut avoir des effets néfastes sur les consultants, même quand elle est fondée sur un don réel. Son usage est difficile et exige une expérience avertie et une certaine distance à l’égard des prédictions.
Liliblue