Atout 0-Le Mat 5 mars
Le Mat
Atout zéro
Chaos, pauvreté, marginalité
Liberté, énergie pure, pulsion
Le pèlerin
le génie créatif
Le Mat est un Atout mystérieux. C’est d’abord par son nom que cette carte intrigue : que signifie Le Mat ? On donne généralement deux origines à ce terme.
L’une est arabe qui signifie « la mort », comme dans le jeu d’échecs qui se termine par cette formule : « échec et mat ! » et aurait accompagné les naibi, ces jeux de cartes des Mamelouks (ancienne milice des califes musulmans) et qui ressemblent aux cartes numérales du Tarot, mais en l’absence de tout atout.
L’autre généalogie, beaucoup plus vraisemblable, si on tient compte du de l’histoire des Tarots, rapproche Le Mat du terme italien « matto » qui désigne la folie. De fait, cet Atout peut être désigné indifféremment par la dénomination de « Mat » ou par l’ancien terme de « Fol ».
Le Mat interpelle ensuite par le fait que c’est le seul Atout sans nombre, d’où la difficulté qu’éprouvent les tarologues à le situer dans la structure globale du Tarot de Marseille. Est-il le premier des Atouts, correspondant en quelque sorte à un zéro non nommé ? Ou bien se situe-t-il au-delà de tous les nombres, ce qui fait que certains tarologues et taromanciens lui accordent la valeur 22, le 21 étant le dernier nombre des Atouts du tarot ?
Cette dernière interprétation, souvent utilisée dans les calcules tarologiques, n’a en réalité aucun fondement pour qui connaît la structure du tarot ainsi que son histoire. Le Tarot est né à la Renaissance, en Italie. Et en même temps, à peu près, que les Tarots émergaient – l’un des plus anciens jeu, celui dit de Visconti-Sforza, est peint au xve siècle – le monde occidental commençait à peine s’approprier la numérotation arabe (ou indienne) qui est la nôtre et qui comporte le nombre zéro.
Le zéro, qui n’existait pas pour les Romains, est en effet venu d’Inde, en passant par le monde arabe où il prit la forme numérale qu’on lui connaît (le « 0″ ) ouvrant la suite des 1, 2, 3, 4, etc. du monde moderne.
Or, le Tarot se situe encore dans une numérotation romaine qui reste pour longtemps encore utilisée en Europe et qui ne possède pas de désignation du zéro.
Le tarot qui n’use que des chiffres romain ne pouvait donc signifier, par cette absence de nombre du Mat, que le chiffre nul, le néant d’avant le 1. Rien n’empêchait, au contraire, la numérotation du XXII, si ce n’est la logique même du tarot, qui s’arrête à XXI. Chaque X du XXI représente en effet un monde complet : la Terre d’abord, le Ciel ensuite, mais contenus dans le I final de l’individualité intégrative qui contient en elle ces deux ensembles de la Terre et du Ciel. Il ne peut donc rien y avoir au-delà du XXI qui est l’aboutissement de la quête tarologique, quand une individualité a, tout en elle, du Ciel et de la Terre.
Et voir, dans le Mat, le Divin (22) qui serait au-delà de la création, c’est décidément ne rien avoir compris non plus au cheminement même du Tarot qui vise, alchimiquement et hermétiquement, l’Union de la Terre et du Ciel en une individualité divinisée à la fois matérielle et divine.
La structure complète du Tarot conduit donc à ne voir dans le Mat qu’une Carte qui porte en elle le néant du zéro, néant innommé, et qui fait pendant au Tout intégré en une individualité réalisée du XXI. Tandis que Le Monde représente l’Individu qui a tout en lui en une intégration parfaite, le Mat représente l’individualité qui n’est encore aucunement unifiée. C’est une pure potentialité qui part dans tous les sens, comme le montre le vêtement bariolé du Mat.
Dans le jeu de tarot qu’est aussi, ne l’oublions jamais, le Tarot de Marseille, Le Mat est « l’excuse » des joueurs et pour citer Court de Gébelin, qui témoigna de son rôle au sein du jeu de société qu’il découvrait : « Le Fou ne prend rien, rien ne le prend ». Aucune Carte n’a de prise sur lui. Il glisse en quelque sorte entre les mains de l’adversaire qui ne peut se l’approprier, car, hormis dans la dernière levée, il revient toujours à son propriétaire initial. Si un adversaire gagne le pli dans lequel se trouve l’excuse, celle-ci est en effet remplacée, à la volonté de son possesseur, par n’importe quelle Carte dont il voudrait se débarrasser. D’où son appellation, dans le Tarot moderne, par le terme de « mandoline » par référence au chanteur napolitain qui accompagne ses sérénades amoureuses de cet instrument de musique : le Mat exprime par là son pouvoir de narguer l’adversaire. L’excuse n’est pas dès lors sans rapport avec le Joker qui appartient aux jeux américains plus tardifs où il figure une sorte d’arlequin ou bouffon rieur qui change de valeur en fonction des besoins du joueur.
De ce fait, dans les calculs tarologiques, il représente toujours le zéro qui renvoie, en miroir, chaque carte à elle-même. Tirer une Papesse et Le Mat, outre les significations précises de ces Cartes très différentes (immobilité – mouvement, vivre caché – vivre sans toit, féminité passive et réceptive – masculinité active et émissive, etc.) renvoie, par calcul, à la nécessité absolue de prendre en compte les indications de La Papesse qui se redouble en absorbant la force du Mat ; car 2 + 0 = 2. C’est comme si le Tarot nous disait que La Papesse n’ayant pas été intégrée est de nouveau sur le tapis.
En tant que zéro, il n’a sa place nulle part, et de fait, dans la structure du Tarot, il est en dehors de tout niveau et des ensembles qui représentent la Terre et le Ciel des Atouts. Mais, en tant qu’excuse du jeu, il a potentiellement sa place partout. « Il forme Atout » explique Court de Gébelin qui ajoute « il est de toutes couleurs ». S’il forme atout, c’est qu’il n’est pas un Atout en lui-même, mais peut avoir, momentanément, cette valeur, tout comme il prend la couleur qui convient. Les joueurs le considèrent comme un honneur et non comme un Atout. Tout fol avait, en effet, sa place dans les Cours d’antan, et dans le Tarot, on l’imagine très bien divertir les Figures des quatre Couleurs par ses cabrioles et ses calembours et en même temps qu’il éclaire ses souverains, osant dire la vérité comme personne. Sa parole se révèle, de ce fait, un puissant contre-pouvoir. Prenant un ton sérieux pour dire des fadaises, et il exprime des vérités déplaisantes, mais nécessaires, sur le ton de la plaisanterie. Il embrouille apparemment les esprits et, en réalité, les éclaire. Sa seule contrainte : adopter le masque du clown pour emmener le Roi vers plus de sagesse.
Regardez comment se tient le personnage sur cette Carte : on le voit presque que de dos. C’est même le seul personnage central qui a cette posture où la face du corps est invisible. On ne voit que son visage parce qu’il tourne la tête violemment vers la droite. Et la posture qu’il adopte manifeste cette distorsion de son âme : il porte son baluchon sur l’épaule qui n’est pas celle de la main qui tient le bâton de ce baluchon. Essayez donc de voyager ainsi ! Avec cette main et ce visage, on le voit se diriger vers la droite, mais l’autre main et une partie du corps semble tourner vers l’autre côté. De même que ses vêtements sont bariolés, déchirés, cousus et décousus, son âme est profondément chaotique, ce que manifeste aussi ce chat-chien qui déchire sa jambière droite. Et curieusement, la chair qu’il découvre, est blessée, griffée, marquée par l’animal qui bondit derrière Le Mat, comme si l’impulsivité du Mat le blessait lui avant tout autre. Tout est bizarre avec ce personnage qui à juste titre s’appelle aussi Le Fol.
Sur un plan tarologique, Le Mat représente le premier Atout d’avant le I, et le pont entre les Figures et le Ciel des Atouts. Alors que chacune des autres Cartes a une signification et une seule, celle qui leur est donnée par la place précise qu’elle occupe dans la hiérarchie du jeu, si l’on admet une proximité entre Le Mat et le Joker, cet Atout a une flexibilité qui le situe à la marge de tout cadre.
C’est pourquoi, il représente le marginal par excellence, celui qui se trouve sinon exclu, du moins toujours en quelque manière à côté de la communauté.
C’est, comme le montre l’illustration, un grand voyageur, l’éternel étranger, mais aussi un pèlerin. Il est idéaliste. Il lève les yeux au Ciel. Et il avance d’un grand pas, bâton à la main.
Entièrement tourné vers la droite, Le Mat est une carte qui possède une énergie très masculine, ce que corrobore la couleur rouge qu’on voit souvent sur son bâton.
Sans attache, Le Mat porte sur son dos la totalité de ses biens. D’où sa pauvreté aussi que met en avant le Triomphe Visconti Sforza. Totalement désintéressé, rien ne peut l’enfermer, car sa valeur par excellence, c’est la liberté. Aussi n’est-il pas quelqu’un qui s’engage, ni qui peut rester longtemps à la même place.
Bien évidemment que le terme de Fol indique la possibilité d’une difficulté psychologique, et la présence d’une psychopathologie. Il représente en particulier la schizophrénie qui est une pathologie par absence d’intégration des parties du psychisme et que manifeste son vêtement fait de pièces sans accords et bariolé.
(Pour la psychopathologie, La Lune indique le délire, Le Diable : la perversion, La Papesse : l’autisme, Le Pendu : le délire de persécution).
Mais le Mat a bien d’autres significations.
En tant que lié au zéro du Tarot, il désigne le néant divin et créateur qui préside secrètement à toute création et que toutes les spiritualités cherchent à atteindre par le silence intérieur et la méditation ou l’oraison. Le vide des espaces cosmiques infinis où ni le temps, ni l’espace, ni la différenciation des êtres par la fragmentation de l’être n’existe, possède en effet, et selon le physicien David Bohm, des ressources créatives inimaginables au regard de la réalité visible qui n’en serait qu’un déploiement infime. C’est à cette source que puise le génie créateur de l’artiste, de l’inventeur, du prodige.
Le Mat incarne dès lors les forces pulsionnelles de la nature, sexuelles, mais aussi créatrices ; et l’animal qui le talonne, chat ou chien, en est la représentation. Si c’est un chien, c’est la difficulté de s’intégrer que cette Carte incarne, et le fait que le conformisme lui est absolument inaccessible et ses représentants hostiles. Si c’est un chat, c’est sa propre singularité qui est ainsi représentée, et la puissance de ses intuitions. Du fait de sa marginalité, de son originalité, mais aussi de sa créativité, il représente en effet le génie créateur sous toutes ses formes artistique, scientifique, technique, etc.
Einstein est ainsi un magnifique Mat, celui qui fait évoluer dans la rapidité toute une communauté, par la vision absolument singulière qui est la sienne, mais d’autres aussi, comme Mendel par exemple qui découvrit, en solitaire, les lois de l’hérédité qui s’imposèrent des décennies plus tard dans le monde scientifique.
Socrate, l’inventeur de la philosophie, est aussi un Mat particulièrement remarquable. Ce plus sage des hommes selon Apollon et La Pythie, sa prophétesse, est souvent apparu, aux yeux de bien de ses contemporains, comme un pauvre fou dont ils aimaient se railler. Toujours vêtu de son manteau grossier, et marchant pieds nus, il parcourait les rues d’Athènes à la recherche d’un interlocuteur avec qui dialoguer. Mais dialoguer avec Socrate, c’était une épreuve. C’était risquer de perdre tous ses repères, c’était toucher sa propre folie. C’est peu dire qu’affirmer que la rencontre avec Socrate pouvait se révéler fort désagréable. Toutes les certitudes s’effondraient et ceux qui, par exemple, se croyaient courageux, découvraient qu’ils ignorent tout du courage, ceux qui se pensaient vertueux ne savaient plus ce qu’est la vertu, etc. « Est-ce une manière de se présenter et une façon d’occuper son temps pour un homme fait ? » lui demandait Calliclès, qui lui reprochait le manque total de sérieux avec lequel, Socrate avançait,lui, selon dans la vie. Vêtu aussi pauvrement que Le Mat du Tarot, tout aussi insaisissable, incompréhensible, ce fils de tailleur de pierre et d’une sage-femme, était pourtant l’ami des plus éminentes figures de l’aristocratie d’Athènes. Il n’appartenait à aucune classe sociale et s’adressait à tous de la même manière. Génie incontestable de son temps, il a fondé une discipline qui continue, à former la jeunesse au questionnement sur le sens de la vie humaine. Socrate fut mis à mort par des contemporains dépassés qu’ils furent par cette figure inclassable, mais il est resté dans le cœur de la Grèce comme un père spirituel inégalable et apparaît à tous comme l’un des plus grands sages de tous les temps.
Enfin, au sein de la représentation chrétienne, le Mat incarne la folie en croix, cette sage folie qui caractérise certains saints et à laquelle déjà les Évangiles font allusion. Ainsi, Jésus dans l’Évangile de Mathieu fait du fou un maître spirituel : « Si vous voulez connaître la vérité, interrogez un enfant ou un faible d’esprit » (Mt, 11, 22) . Syméon ou André et jusqu’à François d’Assise ont ainsi rejeté tous les rôles et carcans sociaux afin de dépasser les apparences et aller à l’essence mystique de la sagesse supérieure, celle qui se trouve au-delà du raisonnable.
Cette sagesse spirituelle conquise par la marginalité et la folie s’est particulièrement incarnée dans le pèlerinage qui mène à Compostelle. Aussi le Mat est-il la Carte, par excellence, du pèlerin et de tous ceux qui sont des voyageurs sans attache, mais en quête d’un trésor supérieur et spirituel.
Porteur d’un savoir secret, Le Mat incarne enfin, particulièrement bien, l’alchimiste, ce vieux fou qui a passé sa vie à chercher l’impossible, et qui peut-être l’a trouvé en lui, l’emportant dans sa petite besace, marchant librement sous le ciel étoilé. Loin d’errer hors du centre de son être au contraire des autres hommes, il allait à l’essentiel : à la création d’un monde spirituel.
Quand Le Mat est en jeu dans un tirage taromancien, la folie, le pulsionnel, la maladie (comme désintégration holistique), l’absence d’intégration sociale et la marginalité, le fait d’être un étranger, la grande pauvreté, le nomadisme, mais aussi l’aventure, la découverte de nouveaux chemins, la créativité, l’alchimie, le génie sont potentiellement en jeu. S’il n’est pas l’Atout du divin qui est au-delà de toute représentation, il représente la source sombre, ténébreuse, chaotique, d’où tout vient, pour intervenir immédiatement dans un monde aux constructions bien ordonnées et changer la donne, en faisant surgir de nouvelles manières d’être au monde, imprévisibles au regard du passé, mais qui deviendront peut-être, demain, celles de tous les autres.
L’originalité du Mat peut en effet se révéler une originellité qui suit le chemin le plus authentique et le plus court pour aller au Monde.
A la lumière du Premier Niveau du Tarot, Le Mat renvoie de la période d’avant la conception, du membre de la famille inconnu, parti au loin, ayant coupé les ponts, s’étant marginalisé. Il parle aussi d’une personnalité très impulsive dans la famille. Parfois d’un membre ayant de gros problèmes psychiques. Il peut aussi exprimer un manque de structure familial, une famille avec des rôles non fixés, la mère devenant la fille, le père, le fils, la fille devenant la mère de ses parents, de ses frères et sœurs, etc.
A la lumière du Second Niveau du Tarot, Le Mat parle d’une période de recommencement à zéro, d’un retour à la case départ, d’un départ en quittant tout, d’un déménagement, d’un changement de structure professionnel. Il parle des aliénistes, des infirmiers en hôpital psychiatrique, des médecins sans frontière, des métiers impliquant de très nombreux déplacements, l’impossibilité d’avoir un port d’attache.
A la lumière du Troisième Niveau du Tarot, Le Mat est principalement la Carte indiquant une personnalité sans intégration, un tissu moïque multiple, bigarré, et contradictoire, avec des forces pulsionnelles qui tendent à déborder. Indicateur d’une personnalité pulsionnelle incapable de se maîtriser, il peut renvoyer à l’inceste et au viol, mais aussi au retour du refoulé, à la violence, à la colère qui déborde.
Il est aussi le signe de la perte des repères et même d’aliénation mentale.
Plus souvent, cependant, il indique simplement la marginalité et sa pauvreté extrême, la maladie, la solitude de qui est mis à l’écart de la société.
N’oublions pas que Le Mat a pour complémentaire Le Monde, l’Atout de l’intégration, et de la sociabilité. Pour être heureux, il lui faut aller sur le plus long chemin, celui qui le mènera à pouvoir enfin organiser son monde intérieur d’une manière unifiée.
A la lumière du Quatrième Niveau du Tarot, Le Mat est l’Atout du Tohu-Bohu d’avant la Création divine.
Il désigne le pèlerin, l’alchimiste en chemin, mais aussi le génie humain.
Il est, encore,indicateur du vœux de pauvreté et de chasteté, du moine errant, de la folie en Dieu, et de saint François d’Assise et de l’ordre des franciscains.
Liliblue
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.