Freud et la prémonition 25 octobre
Freud est un matérialiste, au sens précis du terme : il ne croit pas à l’au-delà, au divin, et à l’existence d’un esprit pur. Toute son œuvre consiste à expliquer les manifestations humaines par un jeu assez mécanique de pulsions, de leur refoulement, de transformation de la pulsion en expression sublimée ou pathologique.
Il n’est dès lors pas étonnant que, dans un texte écrit en 1899, et donc relativement au commencement de ses recherches, la prémonition se ramène pour Freud, à une production de l’inconscient, et à une simple illusion, une impression de prévision qui est reconstruite après coup. Nous vous proposons quelques extraits de ce texte :
« Mme B, une personne distinguée, et non sans esprit critique, raconte dans un autre contexte, sans être le moins du monde tendancieuse, qu’une fois, il y a des années, elle a rêvé qu’elle rencontrait son ancien médecin de famille et ami, le Dr K., dans la Kärntnerstrasse devant le magasin de Hies. Le lendemain matin, elle prend cette rue et rencontre réellement la dite personne à l’endroit dont elle a rêvé. Voilà l’argument. (…)/ L’analyse tient compte de l’examen constatant qu’on ne peut pas fournir la preuve qu’elle ait remémoré ce rêve le matin suivant la nuit du rêve, précisément avant la promenade. Une telle preuve aurait été la transcription ou la communication du rêve avant son accomplissement. La dame doit plutôt consentir, sans objection, à la représentation suivante de l’affaire, qui est à mes yeux la plus vraisemblable : un matin elle est allée se promener dans la Kärntnerstrasse, et a rencontré, devant le magasin de Hies, son vieux médecin de famille. Lorsqu’elle le vit, elle acquit la conviction que la nuit dernière elle avait précisément rêvé de cette rencontre au même endroit. D’après les règles valables pour l’interprétation des symptômes névrotiques, cette conviction doit être fondée. Son contenu permet qu’on en modifie l’interprétation. (…) Nous ne trouvons rien de remarquable dans cette rencontre si nous songeons au nombre de fois où il a dû lui rendre visite. D’ailleurs de tels hasards, comme s’ils étaient concertés, se trouvent dans toutes les histoires d’amour. Pourtant cette rencontre est vraisemblablement le véritable contenu de son rêve et l’unique fondement de la conviction qu’elle a que ce rêve s’est réalisé. / Entre cette scène de la réalisation du désir et de ce rêve, il y a plus de vingt-cinq ans. Mme B. est devenue entre-temps veuve d’un second mari, qui lui a laissé un enfant et de la fortune. L’inclination de la veille dame se tourne toujours vers cet homme, le Dr K., qui maintenant est son conseiller et l’administrateur de sa fortune et qu’elle st habituée à voir fréquemment. Supposons qu’elle ait, dans les jours précédents le rêve, attendu sa visite, mais que – son empressement n’étant plus celui de jadis – qu’il ne soit pas venu. Elle a pu alors avoir facilement durant la nuit un rêve de désir nostalgique, qui la ramène aux temps anciens. Elle rêve alors vraisemblablement d’un rendez-vous du temps de la passion et la chaîne des pensées du rêve remonte jusqu’à cette fois où, sans s’être concertés, il était venu juste au moment où elle le désirait avec nostalgie. De tels rêves pourrait bien maintenant se produire souvent chez elle; ils sont une part de la punition tardive qui échoit en partage à la femme pour la cruauté de ses jeunes années. Mais comme rejetons d’un courant réprimé et pleins qu’il sont de réminiscences des rendez-vous auxquels depuis son second mariage, elle n’aime plus penser, de tels rêves sont également écartés après le réveil. Il a dû en aller ainsi également de notre rêve prétendument prophétique. (…)/ Ainsi, la création d’un rêve après-coup, qui rend seul possibles les rêves prothétiques, n’est en fait rien d’autre qu’une forme du processus de censure, qui rend possible au rêve la percée jusqu’à la conscience. »
Freud, Une prémonition onirique accomplie, 1899, in Résultats, idées, problèmes, Puf, 1998, p,109-111,
Nous le voyons, chez le jeune Freud, du début de son aventure et de son invention d’un inconscient psychique, pas de doute, la précognition est impossible, et l’impression qu’on peut avoir d’avoir eu un rêve prémonitoire, est souvent fallacieuse, produite par un arrangement de la censure qui nous interdit un désir.
Liliblue